Il est né à Ploemeur, a appris le foot à Ploufragan puis a décollé à Rennes, sous les couleurs de l’équipe locale. En Bretagne, Yoann Gourcuff a posé les bases de sa carrière de footballeur. Mais cela aurait pu tourner différemment. “Il jouait au Tennis Club de Larmor, raconte son professeur Jean-Loïc Le Guellaff. C’était un gamin très doué, il regardait, il faisait ! Sur le court, c’était une vraie tête de mule.”
“On a commencé à jouer ensemble à partir de 7 ans, continue son pote de toujours Hubert Varron. Je l’ai battu une fois en finale d’un tournoi. Après, j’ai toujours perdu…”
A 12 ans, Yoann Gourcuff, classé 15/3, est champion du Morbihan. Il prend part à l’Open Super 12 d’Auray, l’un des plus prestigieux tournois européens dans cette catégorie d’âge. Chez lui, à une trentaine de kilomètres de la maison familiale, c’est sa chance. Elle fait long feu. Balayé dès le premier tour, le lundi, il devient spectateur et voit triompher un certain Rafael Nadal, de cinq semaines son aîné.
“Je me suis rendu compte qu’il serait peut-être plus facile pour moi de percer dans le foot…”, sourit aujourd’hui Yoann Gourcuff, 24 ans.
Yoann a donc fait le choix de la raison, il était programmé pour le foot. “Son grand frère, Erwan, était plus attiré par la natation ou le vélo, mais lui c’était les ballons”, raconte Marine Thalouarn, sa mère, médecin scolaire.
Un jour, alors qu’il n’a que 6 mois, elle l’emmène à une animation de bébés nageurs. Il lui saute des bras, c’est elle qui le raconte, en voyant que l’animatrice tient un ballon. Plus tard, il fait ses premiers pas au bord d’un terrain de foot à Morbier, dans le Jura, où son père participe à un stage d’avant-saison avec l’équipe du Mans.
Dans l’histoire de Yoann Gourcuff, le déterminisme familial est net. Formé au Stade rennais, Christian Gourcuff fut un joueur honnête, doué techniquement. Il écuma les clubs de l’Ouest, portant les couleurs de Guingamp, Rouen, Pont-l’Abbé, Lorient et du Mans.
Puis, en parallèle de ses activités de prof de maths, il se lance dans une carrière d’entraîneur, où il connaît plus de succès que dans celle de joueur. Son premier véritable poste, il le décroche à Lorient (alors en troisième division) en 1991.
Agé de 5 ans, Yoann rejoint l’équipe des débutants du club. Mais, puisqu’il a un piston, il fréquente aussi les séances d’entraînement de l’équipe première.
“Il était toujours derrière le but à jouer avec un ballon, raconte Christophe Le Roux, ancien joueur de Lorient. Il adressait même quelques frappes à notre gardien.”
A vrai dire, Yoann n’arrête jamais. Il joue au club, dans le jardin familial ou dans la cour de l’école Lomener-Kerroch, il joue partout. Le week-end, quand il ne se coltine pas des vidéos de Pelé, il y a un rituel. Avec ses potes Benjamin, Dimitri et Diego, ils se retrouvent dans la propriété du grand-père de ce dernier et ils enchaînent les deux contre deux.
Plus tard, tous joueront au minimum en CFA 2, le cinquième échelon national. A 12 ans, Yoann s’investit complètement dans le football, au détriment du tennis. Huit mois après l’échec au tournoi d’Auray, il est retenu pour rejoindre le centre de pré-formation de Ploufragan, l’une des meilleures fabriques de footballeurs du pays.
Dans la banlieue de Saint-Brieuc, il découvre la vie d’interne, cinq jours sur sept au centre, retour à la maison le week-end. Il adore et se libère.
“Quand je l’ai rencontré la première fois, il me donnait l’impression d’un gamin pas très bien dans sa peau. Je crois que le fait d’être le ‘fils de’ lui pesait, raconte Patrick Papin, directeur du centre. Pourtant, je vous assure qu’en foot, déjà, il n’y avait guère d’équivalent dans la région.”
La promotion de Yoann Gourcuff est exceptionnelle. Sur les dix-huit élèves, six feront une carrière pro. “Au milieu d’eux, reprend Papin, il n’a jamais été perçu comme une vedette et ne s’est jamais pris pour une vedette. Dans la vie de tous les jours, c’était quelqu’un de sociable, un leader généreux. En classe, durant les cours, il ne restait pas en place, incapable de rester longtemps assis. Quand il est arrivé à Ploufragan, il regardait par terre, les yeux fixés sur ses chaussures, mais quand il est parti, deux ans plus tard, à 14 ans, il était transformé, me regardait droit dans les yeux, avait pris confiance en lui. Il existait en tant que Yoann.”
Pourtant, son parcours est encore largement déterminé par celui de son père. Comment pourrait-il en être autrement ? Apôtre du beau jeu, scientifique et romantique dans son approche, Christian Gourcuff s’affirme comme l’un des entraîneurs les plus prometteurs du pays.
Après dix ans à Lorient – qu’il a hissé en Première Division –, il passe un cap en rejoignant le Stade rennais qui dispose de moyens importants, ceux de François Pinault. Yoann a 15 ans, il est toujours licencié à Lorient. Mais peut-il rester sans son père ?
“C’était le meilleur jeune de sa génération dans la Ligue de Bretagne, se souvient Patrick Rampillon, le directeur du centre de formation de Rennes. Le problème, c’est qu’il appartenait à Lorient et, entre clubs pro, il existe un pacte de non-agression. Evidemment, quand son père m’a téléphoné pour me demander : ‘Il t ’intéresse ?’, je lui ai répondu que j’irais le chercher à genoux...”
Mais entre Christian Gourcuff et Rennes, l’affaire tourne court. Au terme de la première de ses cinq années de contrat, le paternel est viré pour résultats insuffisants. Yoann pense partir.
“Je n’ai pas du tout apprécié la façon dont certains se sont comportés, dira-t-il plus tard. J’en ai souffert. Ça m’a dégoûté du monde pro. Mais mon père m’a toujours conseillé ce qui était le mieux pour moi. Il m’a dit de m’accrocher.”
Son ascension devient limpide. En mai 2003, il est surclassé pour jouer la finale de la Coupe Gambardella, la Coupe de France des jeunes, gagnée face à Strasbourg. L’année suivante, en quelques mois, il décroche son bac STT, signe son premier contrat pro et intègre l’équipe première.
Le 7 février 2004 contre Auxerre, Yoann Gourcuff, 17 ans, dispute son premier match en Ligue 1. “A cette époque, se souvient son ancien coéquiper Olivier Sorlin, ce qu’il faisait à l’entraînement montrait déjà une technique largement au-dessus de la moyenne. Il a fallu le calmer pour qu’il arrête les roulettes ! Les plus âgés commençaient à s’agacer…”
“Mais il était trop costaud pour être déstabilisé, répond Landry Chauvin, son ancien entraîneur au centre de formation. Il possède un mental qui lui permet de faire face aux critiques.”
Il en aura besoin. En 2006, après 66 matchs avec Rennes, il s’envole vers le Milan AC. Puis ce sera Bordeaux, Lyon, l’équipe de France, la gloire, la tourmente. Mais Yoann n’a pas oublié d’où il vient. En début de saison, avant d’affronter Lorient, de nouveau entraîné par son père, il disait :
“Lorient, c’est ma ville. J’y suis né. J’y ai grandi. Mes parents, ma famille et mes amis y habitent toujours. J’y passe mes vacances. Lorient, c’est chez moi. Je suis fier d’être breton.”
Source: Les Inrocks